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ENTREPRISES 쐌 LE MONDE / SAMEDI 16 OCTOBRE 1999 / 19
DaimlerChrysler se recentre sur l’automobile
JÜRGEN SCHREMPP l’a rappelé, jeudi 14 octobre,
lors de la présentation du projet d’alliance : la straté-
gie de DaimlerChrysler consiste à multiplier les « par-
tenariats stratégiques »... en dehors de l’automobile.
En un peu plus de quatre ans, le bouillonnant patron,
qui partage son temps entre Stuttgart et les Etats-Unis
pour approfondir l’intégration avec l’américain Chrys-
ler, aura mis au placard la diversification alors jugée
« visionnaire » menée par son prédécesseur, Edzard
Reuter, qui voulait faire de Daimler un conglomérat
multi-technologique.
C’est ce dernier qui avait lancé le groupe automo-
bile dans l’aéronautique en 1984. La division s’est dé-
veloppée au cours des années 80 avec la bénédiction
du gouvernement allemand, pour déboucher, il y a dix
ans, sur la création de DASA, dont le premier diri-
geant ne fut autre que... Jürgen Schrempp. L’alliance
avec Aerospatiale Matra marque une nouvelle étape
dans un double processus engagé depuis 1995 par le
groupe : le recentrage sur l’automobile (83 % du
chiffre d’affaires) et le redressement de sa filiale aéro-
nautique et spatiale (6 % du chiffre d’affaires).
RETOUR À SES PREMIÈRES AMOURS
En mai 1998, la fusion avec Chrysler a définitive-
ment scellé le retour de Daimler à ses premières
amours : l’automobile. Le groupe est désormais nu-
méro deux mondial en termes de chiffre d’affaires,
juste derrière l’américain General Motors qui fabrique
pourtant 3 millions de véhicules de plus chaque an-
née. Le nouvel ensemble germano-américain, avec
notamment ses marques Mercedes, Smart, Chrysler,
Jeep et Dodge, a vendu 4,5 millions de véhicules en
1998. Il veut maintenant devenir le premier construc-
teur vraiment « global ». Très présente en Europe et
aux Etats-Unis, l’entreprise vise, à terme, un quart du
marché asiatique. Après la fin des pourparlers avec
Nissan, qui s’est finalement allié à Renault en mars, de
nouvelles acquisitions ne sont pas exclues.
En Europe, on prête à DaimlerChrysler des inten-
tions de rapprochement avec Fiat, qui permettrait au
premier d’élargir sa gamme dans les petites voitures.
D’ailleurs, peu avant la fusion annoncée hier, le titre
du groupe italien flambait à la Bourse de Milan. La
Smart, dont le lancement est beaucoup plus laborieux
qu’espéré, montre également que le groupe est désor-
mais prêt à prendre des risques pour élargir son offre.
Pour soutenir ses projets de développement, le
groupe est prêt à investir, d’ici à 2004, la somme prodi-
gieuse de 46 milliards d’euros (301 milliards de francs)
dans 64 nouveaux modèles de voitures et de poids
lourds.
Avant même la fusion avec Chrysler, qui tourne, au
fil des mois, à l’avantage des managers allemands,
Daimler-Benz avait commencé sa mue dès mai 1995,
avec l’arrivée aux commandes de Jürgen Schrempp.
Quelques mois plus tard, celui-ci annonce des pertes
records afin de préparer les restructurations à venir.
Des filiales déficitaires, comme l’électronique d’AEG,
seront cédées ou liquidées. Les activités automobile
sont directement rattachées au directoire de la mai-
son-mère, entraînant le départ d’Helmut Werner, l’an-
cien patron de Mercedes, malgré un bilan flatteur. De-
puis, le cap est maintenu : en janvier dernier, la filiale
de téléphonie mobile Debitel a été introduite en
Bourse. Pour le moment, seules les activités ferro-
viaires Adtranz, d’abord exploitées avec ABB et défici-
taires, ont échappé au recentrage.
DaimlerChrysler Aerospace a dû aussi se plier à la
règle. Dirigée à partir de mai 1995 par un proche de
Jürgen Schrempp, Manfred Bischoff, la division subit
alors les bouleversements de la géopolitique conti-
nentale et souffre de la baisse des budgets militaires.
Lourdement déficitaire, l’avionneur hollandais Fokker,
contrôlé depuis avril 1993, est abandonné en jan-
vier 1996. DASA taille dans ses effectifs et cherche à
développer ses activités civiles les plus rentables, no-
tamment Airbus. « Ce chemin fut difficile, car nous
avons dû prendre des décisions douloureuses et impopu-
laires », a rappelé Jürgen Schrempp, jeudi 14 octobre,
tout en qualifiant désormais DaimlerChrysler Aero-
space de « partenaire attractif », qui regroupe 80 % de
l’aérospatiale et de la défense allemandes.
Stéphane Lauer
et Philippe Ricard (à Strasbourg)
Réactions politiques favorables en France, dépit anglais et bon accueil italien
b Camouflet pour Londres :
« La fusion entre DASA et Aerospa-
tiale rappelle que, malgré les soup-
çons et les malentendus, l’Europe
s’organise en fin de compte autour
du noyau dur franco-allemand. »
Cette remarque d’un banquier an-
glais, que nous rapporte notre cor-
respondant à la City, Marc Roche,
souligne combien l’annonce du
14 octobre est ressentie comme un
camouflet par Londres. Dans ce
dossier sensible de l’industrie de la
défense, la stratégie britannique
était claire : détacher les Allemands
de leur allégeance française afin de
construire avec eux les prémices
d’une Europe de l’armement
moins hostile à Washington. D’où
le dépit... sensible dans l’édition du
15 octobre du Financial Times qui
s’en prend dans la Lex column,à la
« Maginot merger ».
« La fusion est un pas très utile
vers la création de la société
commune Airbus. Il ne reste plus dé-
sormais qu’à finaliser les négocia-
tions bilatérales entre BAe et le nou-
vel ensemble pour que la compagnie
unique puisse voir le jour. » British
Aerospace (BAe) fait contre mau-
vaise fortune bon cœur, estimant
que cette fusion constitue une
étape importante vers la transfor-
mation d’Airbus, dont l’avionneur
britannique détient 20 %. Le ma-
riage franco-allemand n’en est pas
moins un revers pour le directeur-
général de la société, John Weston,
germanophile invétéré, qui envisa-
geait de relancer les négociations
avec DASA dès la conclusion de
l’opération d’absorption de Mar-
coni. « BAe se trouve désormais en
dehors de l’Europe de la défense »,
souligne le quotidien The Inde-
pendent. L’avenir ? La City est divi-
sée. Le quotidien The Guardian ré-
sume une stratégie possible pour
BAe : « se garder la porte ouverte
pour forger le cas échéant une al-
liance transatlantique plus facile à
réaliser vu sa forte culture anglo-
saxonne ».
b Approbation italienne : Le
groupe de défense et d’aéronau-
tique italien Finmeccanica a bien
accueilli la fusion franco-alle-
mande. Cette opération « imprime
une forte accélération au processus
de consolidation de l’industrie aéro-
nautique et de défense en Europe »,
indique le groupe public dans un
bref communiqué. Un sentiment
partagé par le ministre de l’indus-
trie italien, Pier Luigi Bersani. Il a
souligné que le rapprochement
« peut constituer une étape impor-
tante vers la restructuration de l’in-
dustrie européenne de l’aéronau-
tique et de la défense ». Le patron
de DASA, Manfred Bischoff, a af-
firmé jeudi que Finmeccanica était
« tout à fait le bienvenu » dans la
nouvelle société EADS.
b Prudence américaine :
L’américain Boeing, grand rival
d’Airbus, a estimé prudemment
que la fusion ne « lui posait pas de
problème tant qu’elle ne comprend
pas un abandon de la dette, ou une
injection de capitaux publics ».
b Satisfactions politiques fran-
çaises : Le député et maire UDF de
Toulouse, Dominique Baudis, a es-
timé jeudi soir que la fusion DASA-
Aerospatiale Matra faisait passer
« l’aéronautique européenne à la vi-
tesse supérieure ». Grâce à ce ma-
riage, « les décisions pourront se
prendre plus vite, ce qui permettra
de gagner du terrain face au
concurrent Boeing... », conclut-il.
Paul Quilès (PS, président de la
commission de la défense à l’As-
semblée nationale) a salué « une
étape historique dans la construc-
tion de l’Europe de l’armement. (...)
La présence en son sein d’action-
naires de référence puissants, dont
l’Etat français, garantit un équilibre
entre l’impératif de rentabilité et
l’ambition industrielle de long terme.
La fusion peut laisser espérer à court
terme la constitution d’Airbus en so-
ciété commerciale intégrée, ce qui
lui ouvre de nouvelles perspectives
de développement. (...) Sur le plan
politique, l’entente franco-alle-
mande, qui constitue l’un des préa-
lables indispensables à la construc-
tion d’une authentique Europe de la
défense, est vigoureusement relan-
cée ».
La consécration de Jean-Luc Lagardère
L’industriel français a été au cœur des négociations
TOUS POUR UN, un pour tous.
La photo immortalisant l’accord de
fusion entre Aerospatiale Matra et
DaimlerChrysler Aerospace (DA-
SA) évoque irrésistiblement la pos-
ture des mousquetaires
d’Alexandre Dumas. Dans un geste
vigoureux, cinq hommes scellent
leur pacte en unissant leurs mains :
Lionel Jospin, Gerhardt Schröder,
Dominique Strauss-Kahn, Jurgen
Schrempp et Jean-Luc Lagardère.
Seul du lot à pouvoir revendiquer
des origines gasconnes comme les
fameux bretteurs du roman, le pa-
tron d’Aerospatiale Matra semble
encore plus rayonnant que ses
quatre partenaires. Cet accord,
cette journée, cette conférence de
presse représentent pour lui un
succès personnel. A soixante et on-
ze ans, Jean-Luc Lagardère ne clôt
pas encore sa carrière. Futur pré-
sident du conseil d’administration
d’EADS, il en ouvre pourtant le
dernier chapitre. Et celui-ci pour-
rait avoir pour titre : la consécra-
tion.
Juin 1999. Dans son bureau avec
vue prestigieuse sur la place de
l’Etoile, à Paris, le président du
groupe Lagardère savoure une pre-
mière victoire. Sa filiale militaire
Matra vient de fusionner avec le
groupe public Aerospatiale, et Lio-
nel Jospin l’a personnellement
chargé de négocier, avec ses homo-
logues allemands et britanniques,
l’intégration des industries euro-
péennes de l’aéronautique et de la
défense. « Je crois qu’on arrive à un
moment où il faut parler d’égal à
égal avec les Américains. Ca va venir,
et ils le savent », déclare alors
M. Lagardère aux journalistes du
Monde venus l’interviewer. Extraor-
dinaire aplomb pour quelqu’un qui
revient de si loin.
Quelques mois plus tôt – et après
avoir déjà frôlé la catastrophe lors
du naufrage de La Cinq, en 1991 –
ce patron était donné par de nom-
breux observateurs comme le
grand perdant des restructurations
en cours. L’échec de son projet de
reprise de Thomson-CSF, fin 1996,
semblait condamner son groupe à
sortir de l’industrie de défense et à
se recentrer sur son autre grand
métier, l’édition. Trop petit dans un
monde de mastodontes en fusion,
Lagardère, disait-on, allait tirer sa
révérence.
C’était compter sans l’incroyable
ténacité de cet ingénieur formé à
Supélec, qui a fait ses armes chez
Dassault, avant d’être invité à diri-
ger Matra par ses actionnaires de
l’époque, Sylvain Floirat et Marcel
Chassagny. Battu, il revient tou-
jours sur le ring, ne s’avoue jamais
vaincu. C’est sa philosophie. Evo-
quant son parcours à Matra, il af-
firme : « Nous avons eu des échecs
qui forgent encore mieux la solidarité
des équipes. » Thomson-CSF lui a
échappé ? Jean-Luc Lagardère re-
ferme le dossier sans état d’âme.
Mais il reprend date dans un long
plaidoyer, intitulé : « En voulant
Thomson, nous voulions l’Europe. »
RÉFÉRENCES GAULLISTES
C’est finalement avec Aerospa-
tiale qu’il fera cette Europe à la-
quelle il croit sincèrement, sans
toutefois être dupe des grandes dé-
clarations d’amitié transationales.
L’œil pétillant d’amusement, il cite
volontiers ces propos que lui aurait
tenus un « ami » européen : « Fina-
lement, tu es le seul entrepreneur qui
reste dans le métier. Dommage que
tu sois français ! »
Français, fier de l’être, et se réfé-
rant sans cesse à de Gaulle pour ex-
primer cet attachement : c’est para-
doxalement ce cocktail, en
apparence bien peu européen, qui
lui a permis de réussir à faire entrer
l’industrie française dans le jeu eu-
ropéen. Ses références gaullistes lui
ont finalement servi de caution
pour apparaître, y compris aux
yeux des dirigeants socialistes,
comme l’homme de la situation.
Négocier l’Europe sans paraître
abandonner tout velléité d’indé-
pendance nationale ? C’était évi-
demment le scénario idéal. Et Jean-
Luc Lagardère incarnait spontané-
ment cette démarche.
Encore fallait-il inspirer
confiance à des interlocuteurs aga-
cés de voir l’Etat français conserver
d’importantes participations dans
son industrie de défense, et exi-
geant son retrait immédiat comme
préalable à toute discussion. Très
lié à l’Etat par les commandes pas-
sées à son groupe, mais répondant
par ailleurs aux caractéristiques ha-
bituelles d’un capitaliste, Jean-Luc
Lagardère possédait cette autre
qualité nécessaire à la réussite de la
négociation. D’autant plus qu’il
connaît personnellement, et de fort
longue date, tous ses concurrents,
auxquels il donne facilement du
« cher ami ».
A ceux qui s’en étonneraient, il
remet sa carrière en perspective :
« En 2001, cela fera cinquante ans
que je travaille dans l’aéronautique
et la défense, sans les avoir jamais
quittées », dit-il non sans fierté. Et
de rappeler que DaimlerChrysler
tout comme British Aerospace sont
présents au capital du groupe La-
gardère depuis sa privatisation, en
1986. Depuis l’été, M. Lagardère a
rencontré au moins deux fois par
mois son homologue, Jurgen
Schrempp, mais aussi les dirigeants
de British Aerospace. Son en-
tregent lui a aussi permis de former
un tandem efficace avec Domi-
nique Strauss-Kahn, lui-même
mandaté par Lionel Jospin, pour re-
présenter le gouvernement dans
cette négociation. Le patron gaul-
liste et le ministre socialiste, bénéfi-
ciant tous deux d’une excellente
image en Allemagne, ont ainsi
réussi à convaincre leurs interlo-
cuteurs que les Français sont par-
fois fréquentables.
Anne-Marie Rocco
Source : EADS
Le N°1 européen de l’aéronautique
Classement mondial L’addition des forces
Une position dominante en Europe
ÉTAT
50 %
INSTITUTIONNELS
HOLDING FRANÇAISE
EADS
13 %
LAGARDÈRE
37 %
50 %
DAIMLER-
CHRYSLER
50 %
HOLDING
(PAYS-BAS)
60 %
BOURSE
40 %
EUROPEAN AERONaAUTIC, DEFENSE AND SPACE COMPANY
CHIFFRE D’AFFAIRE
11,6
27,7
0,496
54 000
45 00019,5
0,490
1,7
1,9
8,2
AEROSPATIALE
MATRA
DASA
(PAYS-BAS)
0
10
20
30
40
50
RAYTH
EO
N
(E
-U
)
BRITISH
AEROSPACE
(R
-U
)
EAD
S
(E
U
R
O
P
E
)
L
O
C
K
H
E
E
D
M
A
R
T
IN
(E
-U
)
B
O
E
IN
G
(E
-U
)
CHIFFRE
D’AFFAIRES
CARNET
DE COMMANDES
RÉSULTATS
D’EXPLOITATION
RECHERCHE &
DÉVELOPPEMENT
EFFECTIFS
en milliards d’euros
en milliards d’euros
dont défense
Part dans les
programmes
européens
Chiffre
d'affaires (
en
milliards d'euros)
AIRBUS
EUROCOPTER
ARIANE
ASTRIUM
(satellites)
MISSILE-SYSTEMS
EUROFIGHTER
DASSAULT
ATR
(avions régionaux)
AUTRES
(électronique de défense)
75,8 %
100 %
23,8 %
75,5 %
63,0 %
45,8 %
30,0 %
70,0 %
8,2
1,7
2,8
2,1
1,7
1,5
1,8
19,8
}
}
}
TOTAL :
La fin des restructurations européennes
LA FUSION du français Aero-
spatiale Matra et de l’allemand
DaimlerChrysler Aerospace, au
sein de la première société tran-
seuropéenne du secteur, baptisée
European Aeronautic, Defense and
Space Company (EADS) chasse le
spectre de la domination britan-
nique. Avec ses 19,8 milliards d’eu-
ros de chiffre d’affaires, le futur
EADS peut se mesurer sans
complexes avec le nouveau BAe
(17,4 milliards d’euros), issu du ma-
riage, en janvier, des britanniques
British Aerospace (BAe) et GEC.
L’Europe est désormais dotée de
deux sociétés capables d’affronter
les géants américains Boeing et
Lockheed Martin. L’industrie euro-
péenne avait besoin de tels regrou-
pements pour être capable d’inves-
tir chaque année en recherche et
développement les milliards d’eu-
ros nécessaires pour maintenir le
niveau technologique qui a permis
à Airbus de tenir tête à Boeing, à la
fusée Ariane de détrôner les lan-
ceurs américains et aux avions de
combat Mirage, Rafale et Euro-
fighter de ne pas laisser les mar-
chés d’exportation à la seule merci
de l’industrie américaine. Les Etats
européens, dont les ressources
budgétaires se réduisent, comptent
désormais sur les entreprises pour
prendre le relais des programmes
qui assurent une certaine autono-
mie diplomatique et militaire.
Les restructurations indus-
trielles, amorcées aux Etats-Unis
dès le début des années 90, ont été
rendues d’autant plus nécessaires
que la baisse des budgets militaires
et la concurrence que se livrent les
entreprises à l’exportation (dans
les avions civils, les satellites, les
lanceurs) laminent leurs bénéfices.
Habitués aux perspectives mirobo-
lantes de l’industrie de l’informa-
tique et de la haute technologie,
les investisseurs financiers récla-
ment une hausse des résultats.
Cette semaine encore, le groupe
d’électronique de défense Ray-
theon a vu son action perdre plus
de la moitié de sa valeur, après
avoir annoncé que ses résultats ne
seraient pas à la hauteur des espé-
rances des analystes... Englués
dans les difficultés de sa fusion
avec McDonnell Douglas, Boeing a
perdu 30 % depuis l’opération et
son rival Lockheed Martin 35 %,
depuis le début de l’année.
Dans cette course à la concen-
tration mondiale, où s’arrêtera
l’aéronautique européenne ? On
pouvait imaginer que les deux
nouveaux géants européens
tombent dans les bras l’un de
l’autre, pour se hisser au niveau de
Boeing. Manfred Bischoff, le futur
co-président du directoire d’EADS,
a exclu catégoriquement cette hy-
pothèse, le jour même de l’an-
nonce officielle de l’union franco-
allemande. « Le projet de société
européenne est mort. Nous avons
mis en place un autre projet qui dis-
pose de la taille, des technologies et
de la puissance pour envisager des
coopérations transatlantiques », a
expliqué M. Bischoff, qui a cité en
exemple les bases de la coopéra-
tion annoncée, en juin, au salon du
Bourget, par Aerospatiale et l’amé-
ricain Lockheed Martin dans le do-
maine des avions de mission mili-
taires. Le nouveau groupe
franco-allemand, qui poursuivra
ses partenariats avec BAe dans le
domaine des avions civils, des sa-
tellites et des missiles, n’envisage
par une intégration plus globale.
Les entreprises
européennes
n’ont pas intérêt
à pousser trop loin
leur concentration,
elles risqueraient
de subir des mesures
de rétorsion
Cette prise de position n’est pas
exempte d’une certaine arrogance
allemande : neuf mois après avoir
été éconduit par le britannique
BAe, DaimlerChrysler se retrouve
avec des positions dominantes
dans la plupart des métiers de l’aé-
ronautique. Mais elle s’appuie aus-
si sur une analyse réaliste de l’envi-
ronnement, économique et
politique. Les gouvernements eu-
ropéens, premiers clients des en-
treprises de défense, veulent conti-
nuer de bénéficier d’une certaine
concurrence lors des appels
d’offres militaires. Plutôt que de
faire entrer dans le jeu un rival
américain, ils préféreraient conser-
ver deux grands acteurs européens
qui s’affronteraient au bénéfice du
contribuable.
Les autorités chargées de veiller
au respect des règles de concur-
rence commencent d’ailleurs à
s’émouvoir de la vague de rappro-
chements. Aux Etats-Unis, elles
ont mis leur veto au rachat de Nor-
throp Grumman par Lockheed
Martin. Des deux côtés de l’Atlan-
tique, elles sont en train de deman-
der quelques modifications au pro-
jet de fusion entre British
Aerospace et Marconi, afin notam-
ment de maintenir une certaine
concurrence entre les équipes des
deux sociétés qui étaient jus-
qu’alors en concurrence au sein
des deux consortiums qui s’af-
frontent pour le fabuleux contrat
anglo-américain de l’avion de
combat du futur (Joint Strike Figh-
ter). Les entreprises européennes
n’ont pas non plus intérêt à pous-
ser trop loin leur concentration. Si
on les soupçonnait de constituer
une "forteresse Europe", elles ris-
queraient de subir des mesures de
rétorsion, et de voir notamment se
fermer l’accès au marché améri-
cain.
Il est donc probable que l’indus-
trie aéronautique et de défense
européenne se structure désor-
mais autour des deux pôles qui
viennent d’émerger. L’italien Ale-
nia semble avoir choisi le camp
britannique, autour d’une alliance
avec l’électronique de défense du
nouveau British Aerospace. L’es-
pagnol CASA, qui croyait, en juin,
s’être marié avec l’allemand DA-
SA, vient de découvrir que la
"lettre d’intention" signée ne
constitue plus qu’une "base de né-
gociation" avec le nouveau groupe
franco-allemand. Mais la perspec-
tive pour la société franco-alle-
mande de monter à 80 % du capi-
tal d’Airbus et 43 % du capital de
l’Eurofighter grâce à l’apport espa-
gnol devrait permettre de confir-
mer ce rapprochement. CASA
pourrait même obtenir une part
modeste du capital du nouvel en-
semble.
Thomson-CSF, le groupe fran-
çais d’électronique de défense,
après avoir raté une union avec
GEC, semble le plus isolé dans le
paysage européen. Le Français
reste le numéro un européen dans
son secteur, légèrement devant
l’électronique de BAe (7 milliards
de dollars de chiffre d’affaires
contre 6 milliards) et largement
devant celle d’EADS (2 milliards),
mais il est trois fois plus petit que
son concurrent américain Ray-
theon. Nul doute qu’il devrait être
l’objet des multiples attentions des
deux pôles européens. Mais
Thomson-CSF préférerait élargir
son propre périmètre et pourrait
être le premier à tenter l’aventure
américaine.
C. J.
Komentarze do niniejszej Instrukcji